PAIEMENT DES LOYERS ET CHARGES LOCATIVES : L’ORDONNANCE DU 25 MARS 2020, UNE DÉCEPTION ?
L’état d’urgence sanitaire en cours met en difficulté la trésorerie de nombreuses entreprises.
Pour éviter une entrée massive en cessation de paiement, le Gouvernement a annoncé des mesures d’accompagnement destinées à soulager la trésorerie des entreprises.
Les déclarations premières du Président évoquaient notamment une « suspension de loyers ».
Sur ce point, quelques-uns seront « déçus » à la lecture de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers et des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels.
Elle ne prévoit pas de suspension des loyers le temps de la crise, elle ne reporte même pas expressément lesdits loyers mais neutralise simplement les sanctions en cas d’impayés.
Il n’en demeure pas moins que des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de COVID-19 pourront bénéficier de ce dispositif, à condition toutefois d’être éligible…
LES ENTREPRISES CONCERNÉES PAR CETTE MESURE … AU CHAMPS D’APPLICATION PLUS RESTREINT QU’ESCOMPTÉ PAR UN CERTAIN NOMBRE D’ACTEURS ECONOMIQUES
Les entreprises visées sont celles qui sont « particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales » du COVID 19. Mais surtout, elles doivent être éligibles au fonds de solidarité.
Suivant décret en date du 30 mars 2020, il s’agit des personnes physiques et personnes morales françaises exerçant une activité économique, remplissant les conditions suivantes :
- Début d’activité avant le 1er février 2020 ;
- Absence de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020 : mais celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peuvent également bénéficier de ces dispositions au vu de la communication d’une attestation de l’un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure (article 1 de l’ordonnance du 25 mars 2020)
- Effectif salarié est inférieur ou égal à dix salariés
- Montant du chiffre d’affaires lors du dernier exercice clos inférieur à un million d’euros (pour les entreprises n’ayant pas encore clos d’exercice, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros)
Bénéfice imposable (augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant) n’excédant pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos (calcul au prorata à réaliser en l’absence d’exercice clos)
Ces entreprises doivent soit avoir fait l’objet d’une interdiction administrative d’accueil du public entre le 1er et le 31 mars 2020, soit avoir subi une perte de chiffre d’affaires supérieure à 70 % pendant cette période par rapport à l’année précédente.
Les sociétés détenues par un Groupe sont exclues car les entreprises bénéficiaires ne doivent pas être contrôlées par une société commerciale au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce.
Si elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales, la somme des salariés, des chiffres d’affaires et des bénéfices des entités liées respectent les seuils précités.
Dans ces conditions, de nombreuses entreprises mises en difficultés par le COVID 19 ne peuvent prétendre au bénéfice des mesures prévues par l’ordonnance du 25 mars 2020.
Demeurent les solutions de droit commun (cf. point sur les alternatives ci-après).
LA » NEUTRALISATION » DES SANCTIONS À DÉFAUT DE PAIEMENT DES LOYERS :
Techniquement, l’ordonnance ne dispense pas du paiement des loyers. Cela met simplement le bailleur hors d’état de poursuivre…
L’article 4 de l’Ordonnance prévoit ainsi : « Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L622-14 et L641-12 du Code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée.
LE REPORT DE PAIEMENT DES FACTURES D’EAU ET D’ÉNERGIE :
L’ordonnance précitée prévoit en son article 3 que tout au long de la période d’état d’urgence, les entreprises concernées pourront bénéficier du « report des échéances de paiement des factures exigibles entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée et non encore acquittées. Ce report ne peut donner lieu à des pénalités financières, frais ou indemnités à la charge des personnes
précitées.
Le paiement des échéances ainsi reportées est réparti de manière égale sur les échéances de paiement des factures postérieures au dernier jour du mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, sur une durée ne pouvant être inférieure à six mois. »
L’article 4 organise la suspension des clauses résolutoires, clauses de pénalités – astreintes – dommages et intérêts.
MISE EN OEUVRE DE CETTE MESURE ET PÉRIODE CONCERNÉE :
Les baux concernés sont ceux portant sur des locaux au sein desquels est exercée une activité économique : comme les baux professionnels et les baux commerciaux.
Pour bénéficier du report des échéances de paiement desdites factures, les entreprises concernées doivent faire la demande auprès de leurs cocontractants et justifier qu’elles remplissent les critères définis par la loi.
En l’absence de demande adressée aux fournisseurs ou aux bailleurs concernés, les entreprises s’exposent aux sanctions habituelles en cas de non-paiement de loyer ou des charges locatives (suspension, interruption de fourniture, mesure d’expulsion……)
Cette mesure vaut pour la période allant du 12 mars 2020 à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Au termes de la loi 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidemie du Covid 19, l’état d’urgence est déclaré pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020 date de son entrée en vigueur, sauf ordonnance prise par le Gouvernement pour réduire la période. En tout état de cause le Parlement pourra en cas de besoin proroger la période d’urgence.
QUELLES ALTERNATIVES POUR LES ENTREPRISES EXCLUES DU DISPOSITIF ?
Certains auteurs évoquent la possibilité d’invoquer la force majeure mais les conditions très restrictives de l’article 1218 du Code civil rendent très aléatoire l’issue d’une telle position, assez risquée en cas de contentieux.
Il convient cependant de procéder au cas par cas, et d’étudier ce qui prévoit le bail sur la force majeure.
Si le bail ne l’écarte pas, le régime de l’imprévision parait un outil intéressant.
Selon ce régime prévu par le code civil (article 1195), si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer
le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
Il conviendra de se référer aux clauses du bail afin de voir si cette disposition est écartée par les parties ou si elle demeure.
Enfin, demeure la faculté pour le juge d’octroyer des délais de paiement jusqu’à deux années.
L’Article 1343-5 du Code civil dispose en effet qu’il peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Dans cette perspective, il est pertinent d’engager des pourparlers avec le bailleur et de mettre en avant sa bonne foi.
Nous demeurons à votre entière disposition pour tout accompagnement en la matière.